On veut fermer Tsukiji, le temple du poisson à Tokyo

Tsukiji, le plus grand marché au poisson au monde

A quelques pas des boutiques de luxe de Ginza, le quartier huppé de Tokyo, poissonniers et négociants s’échangent à l’aube thons géants et paniers de poulpes dans une atmosphère virile, frénétique et imprégnée de puissantes odeurs salines. Mais ce grand show matinal est peut-être condamné.
Le marché au poisson de Tsukiji, le plus grand du monde et un des « musts » touristiques de la capitale nippone, fait en effet l’objet d’un projet de déménagement promu par le maire de la ville, le populiste Shintaro Ishihara, qui juge anachronique ces immenses halles sombres et grouillantes au coeur d’une des zones les plus chics de sa cité.

M. Ishihara estime que les terrains occupés depuis sept décennies par le tentaculaire marché à l’embouchure de la rivière Sumida pourraient trouver un meilleur usage.Pour accueillir, par exemple, le centre de presse des Jeux Olympiques que Tokyo espère accueillir en 2016. Le marché de Tsukiji déménagerait d’ici 2012 dans de nouveaux locaux flambant neufs et plus spacieux à quelques kilomètres au sud, au bord de la baie de Tokyo. Mais cette perspective mécontente beaucoup de professionnels du poisson, qui dénoncent un coup porté au coeur de la tradition nippone. « Le déménagement pourrait détruire notre culture culinaire. De nombreux petits intermédiaires seront évincés car ils seront incapables de payer les droits d’entrée plus chers dans le nouveau marché », se plaint Makoto Noze, 69 ans, le chef de file des opposants au transfert.

Ces récalcitrants disposent d’un argument de poids: le sol du nouveau site proposé, propriété d’une compagnie gazière, est imprégné de produits toxiques. « Comment peut-on envisager de déménager sur un terrain lourdement pollué au cyanogène et à l’arsenic, nous qui manipulons du poisson, un des aliments de base pour les Japonais ? », vitupère M. Noze. La municipalité de Tokyo a promis de recouvrir le sol empoisonné avec de la terre propre sur une épaisseur de 4,5 mètres.

 

Mais les récriminations persistantes des usagers du marché ont forcé le maire à ordonner une nouvelle enquête écologique approfondie. La municipalité persiste toutefois à vouloir fermer Tsukiji. « Le site est étroit, dangereux, pas vraiment propre, et il y a de l’amiante », explique Kenya Tanaka, un haut fonctionnaire de la mairie de Tokyo.

Les détracteurs du déménagement répondent que le nouveau site est mal desservi par les transports en commun, et que le transfert signerait aussi l’arrêt de mort pour le pittoresque carré de gargotes à sushis, de petits bureaux de négoce et de mini-poissonneries qui entourent la halle. « Qu’arrivera-t-il aux petits acheteurs qui viennent ici à vélo ? », s’interroge Masayuki Uchiyama, un intermédiaire de 54 ans. Mais le déménagement a aussi ses partisans, lesquels soutiennent que le marché a cruellement besoin d’installations plus modernes.

« Nous avons déjà étudié la possibilité de rénover le marché sans le dépacer et nous avons conclu que c’est impossible. Il n’y a tout simplement pas assez d’espace », assure Hiroyuki Ito, président de la Coopérative des grossistes du marché aux poissons de Tokyo. « Tsukiji a besoin d’être compétitif face aux grands supermarchés et aux magasins à prix réduits, qui passent outre le marché de gros et achètent directement leur poisson aux pêcheurs », argue-t-il. Le volume de transactions annuels à Tsukiji a ainsi chuté à 570.000 tonnes en 2006, contre environ 800.000 tonnes vingt ans plus tôt.

« La majorité des adhérents de notre coopérative disent qu’ils ont besoin d’espace pour traiter le poisson afin de répondre à la demande des supermarchés. Si nous n’obtenons pas cela, le marché de gros risque de disparaître purement et simplement », plaide M. Ito.

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